
Ce n’est pas un nouveau sauveur que nous attendons,
mais une société éveillée, organisée et solidaire.
1986 – Une libération sans construction
En 1986, Haïti tourne une page douloureuse de son histoire : la dictature prend fin, et avec elle naît un espoir immense.
C’est l’explosion d’une ferveur collective, une libération tant attendue. Les chaînes tombent, les muselières sont arrachées, la liberté d’expression jaillit avec puissance.
Au cœur de cette euphorie, une société civile émerge : spontanée, plurielle, vibrante. De nombreuses organisations naissent, portées par le souffle de la justice, de l’éducation, de la santé, des droits humains, de l’égalité femme-homme.
Le pays s’éveille…
Mais cet élan, aussi sincère fût-il, manquait d’organisation. Il n’y avait ni cadre commun, ni stratégie d’ensemble. Rapidement, les initiatives se sont multipliées, les voix se sont entremêlées, et l’espoir s’est dilué dans une cacophonie sans direction.
Ce fut un jaillissement sans canalisation…
Une société civile affaiblie, mais essentielle
Alors, la société civile, essoufflée, est devenue inaudible. Aujourd’hui encore, elle crie — mais on ne l’écoute plus.
Lorsqu’elle est absente ou affaiblie, la démocratie devient un mot creux. La souveraineté populaire est menacée. Le peuple devient vulnérable, exposé aux manipulations.
Sa liberté n’est alors plus qu’une illusion…
Si nous voulons la préserver — car s’il y a quelque chose que l’Haïtien ne négocie pas, c’est sa LIBERTÉ — il nous faudra bâtir une société civile forte, structurée, solidaire et engagée.
La société civile est le cœur battant de toute démocratie vivante. Elle incarne la voix du peuple. Elle est le lien vital entre citoyens et dirigeants.
Trois piliers pour une société civile forte
1. Une vision nationale partagée, articulée et intégrée
Aujourd’hui, les initiatives jaillissent de partout — mais de manière ponctuelle, isolée, sans articulation entre elles. Elles naissent, agissent, puis s’éteignent, sans lien, sans écho.
Non, il ne suffit pas d’empiler des projets. Il faut une VISION!
Une vision nationale qui donne une direction claire. Une approche intégrée qui tisse des ponts entre les acteurs, valorise les savoir-faire locaux, relie les territoires, et oriente les énergies vers un horizon commun.
Ce cadre stratégique doit être co-construit avec les acteurs de terrain, dans une logique de coopération et d’interdépendance. Il ne doit pas être imposé d’en haut. C’est cette vision partagée qui donnera sens, force et continuité à l’engagement citoyen.
Elle permettra de sortir du chaos des actions isolées pour entrer dans un mouvement coordonné, porteur de changement durable.
2. Une représentativité authentique, ancrée dans les réalités locales
Une société civile forte doit réellement représenter son peuple !
Elle doit permettre à chaque citoyen d’être entendu, reconnu, intégré dans le processus démocratique.
Elle n’est pas une entité verticale. Elle ne peut se résumer à quelques ONG ou institutions bien connectées aux arènes internationales – alors que la voix des quartiers, des campagnes, des jeunes, d’une majorité invisible, est ignorée.
La société civile doit être plutôt un espace ouvert, décentralisé.
Elle est un tissu vivant, un espace en mouvement et en expansion continue, qui doit faire émerger une parole citoyenne ancrée dans l’expérience vécue
— là où bat le cœur de la nation.
Sans cette représentativité réelle, la société civile perd sa légitimité — et avec elle, sa capacité à faire levier. Il est impératif de reconstruire le pont entre les voix silencieuses de la base et les lieux de décision.
3. Une reconquête de nos valeurs fondatrices comme socle de cohésion sociale
Pour tenir debout, une société civile doit s’enraciner dans des valeurs partagées :
• Liberté
• Solidarité
• Responsabilité
• Respect de l’autre et du bien commun.
Ces repères sont les fondements de toute construction collective.
Mais en Haïti, le tissu social est déchiré par la méfiance, la division, l’individualisme, les blessures du passé non encore guéries. Toutes ces faiblesses limitent encore notre capacité à bâtir ensemble.
Il est temps de réapprendre la confiance, de replacer le civisme au cœur de notre quotidien — non comme une morale abstraite, mais comme un engagement concret, partagé, vivant.
Ce sont ces valeurs qui peuvent ressouder les liens déchirés, et faire de notre société civile un acteur moteur de cohésion et de transformation.
Haïti, terre de liberté !
En 1804, nous avons brisé les chaînes de l’esclavage pour proclamer notre dignité humaine.
En 1986, nous avons fait tomber une dictature pour reconquérir notre parole et notre souveraineté.
Deux tournants essentiels de notre histoire, deux conquêtes de liberté. Mais dans les deux cas, un même défi n’a pas été relevé : celui de la construction collective. Nous avons gagné notre liberté, mais nous n’avons pas su la faire vivre ensemble.
Aujourd’hui, en 2025, un nouveau tournant s’offre à nous, celui d’une troisième indépendance.
Mais le combat n’est plus militaire — il est moral, citoyen et collectif. C’est le combat de la conscience éveillée, de l’unité retrouvée, et de la responsabilité partagée.
Haïti ne renaîtra ni par miracle, ni par incantation. Elle renaîtra par la force d’une vision claire, par l’audace d’un peuple debout, et par l’engagement d’une société civile organisée et solidaire, capable de parler d’une seule voix.
Oui, il est temps de nous relever — dans la confiance d’un avenir que nous aurons imaginé, bâti, et porté ensemble !
Ayiti Leve Pye’w !